Éve Roland, autrice et éditrice

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Née près d’un fleuve qui lui a laissé le goût des paysages étales et de la rêverie, Éve Roland est une enfant des années soixante, qui a vécu et travaillé aujourd’hui à Paris, avant d'adopter la Normandie de paix et de calme.

Entre les deux : la vie. "La vie est décousue", dit André Dhôtel.
Elle aime explorer de nouveaux horizons. Être là où on ne l’attend pas. Faire l’école buissonnière… À l'écouter, elle écrit pour lier entre eux les morceaux du patchwork.
Son projet d’écriture est de traquer le non-dit, la fêlure au sein des existences ordinaires, la folie qui rôde sans s’avouer, la violence larvée, les souffrances et les haines muettes ; en évitant le pathos, le mélo ; en sculptant au plus près le langage. Ces intentions se retrouvent dans la nouvelle Portrait en bleu, avec laquelle Éve Roland a inauguré la maison d'édition L'ourse brune aux recueils et aux couvertures soignés.

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Les premières pages présentent l’histoire par touches successives : un souvenir, une lettre, l’instant chez le notaire. Pourquoi pas la chronologie des faits comme pour la suite ?

Tout le récit est bâti sur des allers-retours constants entre présent et passé, souvenirs de la narratrice et exhumation du passé de tante Lu. Jusque dans les dernières pages la nouvelle est ponctuée par les lettres dont on découvre à la toute fin qui en est l’auteur et qui éclairent le passé (qui était vraiment tante Lu ?) mais aussi le présent (d’où vient le tableau ?). Au fur et à mesure que le récit avance, présent et passé se rejoignent.

Tante Lu m’avait fait cadeau de son secret en même temps que de son lieu de vie (p. 19). J’avais l’impression de violer l’intimité de tante Lu (p. 25).
La famille est-elle l’endroit des non-dits et la littérature celui où l’autrice peut tout dire ?

Oui, la famille est le lieu du non-dit et ce n’est pas un hasard si tant de familles cachent un secret… Une mine pour un auteur. « Tout dire » ? En l’occurrence, à partir d’une anecdote racontée par une amie j’ai tout inventé.
 

Un trait laisse entendre qu’on ne peut pas vivre de grandes passions amoureuses à la Poste (p. 22), alors que les sociologues donnent les équipes de travail comme deuxième source de couples, après les rencontres familiales. Une autrice a-t-elle le droit de plaisanter ou de mentir ?

En l’occurrence, c’est le personnage qui parle — et qui d’ailleurs se reprend aussitôt, mortifiée de constater qu’elle a des préjugés. Quant à l’auteur, en règle générale je pense qu’il a tous les droits… sauf celui d’ennuyer le lecteur !
 

Le monde de la peintre est présenté avec deux peintres qui mènent des doubles vies : l’amant de Tante Lu et celui de la narratrice. Coïncidences ou constats ?

Ni l’une ni l’autre : j’ai eu envie de bâtir une histoire en miroir. La narratrice comprend peu à peu que sa tante a vécu une histoire dont le point de départ ressemble à la sienne. Qui sait si la découverte du secret de tante Lu ne va pas faire réfléchir la narratrice à sa propre relation cachée et frustrante ?

Lucile et Martin vivent leur amour au grand jour dans les années 60, alors que la narratrice et G. se cachent de nos jours. Resterait-il des couples « vieux jeu » aujourd’hui alors que d’autres se montraient précurseurs dans le passé ?

Ce doit être quelque chose qui a existé à toutes les époques…

Le dialogue au téléphone avec la mère montre un changement de cadences : la découverte est progressive, l’échange est vif, direct. La pensée et la parole ont des rythmes particuliers ?

L’échange au téléphone reflète avant tout la relation que la narratrice entretient avec sa mère. Il est normal que le ton et le rythme tranchent avec ceux du discours intérieur.

Jusqu’à la page 31, les données sont fournies progressivement. Puis quelques pages suffisent à dénouer le problème. Que signifie cette construction : questions primordiales, révélations brutales, recherches secondaires ?

Il s’agit d’une quête avec ses différentes étapes. Quant au dénouement, puisqu’il s’agit d’une nouvelle, il se devait de ne pas traîner en longueur. Même si, au-delà de la découverte du secret, j’ai voulu que des questions restent en suspens. J’espère que cela se sent…
 

Tante Lu est la petite ourse chérie (p. 7) de l’ours brun (p. 8). Son histoire est publiée à l’Ourse brune ! Un hasard ?

Ah ah ! Il paraît que, lorsque les gens lui demandent "Pourquoi avoir appelé votre maison d’édition L’Ourse brune ?", l’éditrice prétend que "la réponse se trouve dans Portrait en bleu."

Bibliographie

Avis de lecteur

Nouvelles
Y’a longtemps que t’en as pas fait, revue Pourtant n°3, 2022
Portrait en bleu, éditions L’Ourse brune, 2020
Dans la cage, revue Brèves n°113, 2018
L’instant d’avant, revue Temps, juin 2016
La Troisième sœur, recueil, éd. Mémoire Vivante, 2002
Une soirée à Venise, revue Le Paresseux, 1998
Une vieille habitude, revue Le Jardin d’Essai, 1998
Le Rendez-vous de Bruges, revue Les Cahiers du Sens, 1997
Va bene a Baveno, revue Esthétique Cahiers, 1996
Insomnie, revue Le Paresseux, 1994


Poésie
Les hommes à leurs fenêtres, revue Pourtant hors série « Pandémies », 2020
Elle serait partie, texte-installation / exposition Concorde à Notre-Dame d’Avranches, 2016
Princesse qu'on rentre, éditions Mémoire Vivante, 2010
Le Jardin des Os, revue "Incognita", 2010
A lire en courant, éditions Mémoire Vivante, 2007
Dis-moi si ta vie a la couleur de l’ombre, recueil, éditions Mémoire Vivante, 2004
Celle par qui tu parles, revue Midi, 2003


Théâtre
Mafia, ma non troppo, comédie musicale, Théâtre de Nesles (Paris), 1995
Le Petit chaperon rouge ou une nuit à Tokyo, Atelier Bastille (Paris), 1994
La Forêt des Jours, dramatique, France Culture, 1992

 

Eve Roland anime des ateliers d’écriture, en particulier autour de la nouvelle, et a créé en 2020 les éditions L’Ourse brune.