Laure Gobron-Houssiere, aux petits soins pour ses personnages

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Laure Gobron-Houssiere est une cadre de la fonction publique territoriale et formatrice en ressources humaines, qui bénéficie des paisibles jours de la retraite. Née au Sénégal, elle a grandi en Périgord. Grand-mère de quatre petits-enfants, elle observe, imagine, écrit en toute liberté, sans la pression commerciale de la parution cadencée. Elle a publié deux livres aux titres brefs, chez Prim’édit : Dos et Chapeaux.
Les éditions Non31 viennent de mettre sur le marché son recueil à l’appellation claire et riche à la fois : Permis de (se) conduire. La parenthèse pèse de tout son poids, à la lecture des dix nouvelles où une journée se décline sous dix aspects différents, avec à chaque fois un rebondissement. L’ouvrage évoque aussitôt le principe du roman-nouvelles, où les mêmes personnages reviennent d’un épisode à l’autre.
Permis de (se) conduire prête à sourire, s’étonner, se questionner. Le style est maîtrisé et le regard tour à tour bienveillant ou critique. L’occasion de la sortie du recueil a permis d’établir un lien et soumettre Laure Gobron-Houssiere aux questions suggérées par ses fantaisies.

Des nouvelles indépendantes et formant pourtant un tout, en se répondant parfois l’une à l’autre. Pourquoi ce choix original ?

Tout d’abord, pour mon goût personnel de lectrice de nouvelles, pour la recherche de concision de ce genre, sa quasi unité de temps, de lieu, son nombre réduit de protagonistes, pour le fond de l’histoire, ses rebondissements, son dénouement et sa chute. Mais juxtaposer les nouvelles avec pour seul lien un nom ou un concept peut lasser le lecteur. Si la première nouvelle du recueil le laisse sans émotion, il risque d’abandonner sa lecture. Donner à chaque nouvelle - qui dans ce livre peut être lue certes indifféremment - la force du chapitre d’une histoire, incite à poursuivre la lecture à la manière d’un roman.
Permis de (se) conduire : longue nouvelle ou court roman ? La réponse est au choix du lecteur.

Vous évoquez quelques candidats marquants des auto-écoles (qui souffle sur le tableau de bord pour éteindre un voyant, qui dit pouvoir lire un numéro d’immatriculation au lieu de le citer), comment préparez-vous les scénarios ?

Bien sûr, ces petites anecdotes m’ont été confiées par des moniteurs d’auto-école. Elles sont là pour alléger le récit.
Je ne voulais cependant pas écrire le livre de "perles" de l’auto-école. Mon parti pris était de souligner l’importance que les personnes donnent à cet examen. Beaucoup de monde est capable de se rappeler comment s’est passé l’examen de SON permis de conduire, de s’identifier à un proche qui est le candidat du jour, de faire un retour sur son passé, sur ses espérances du moment, sur ses certitudes, ses échecs, ses réussites et d’en tirer le bilan de sa propre vie.
Les fonds d’histoires jaillissent souvent de situations banales que j’observe mais qui sont les points de départ de réflexions et de mises au point.

Le prénom des personnages en guise de titre des nouvelles. Pourquoi cette uniformité́ d’appellation ?

J’attache beaucoup d’importance à l’entourage des personnes. Les relations humaines et les comportements sociaux me passionnent. Je suis très attachée aux prénoms et à leur signification. J’aime croire qu’ils n’ont pas été donnés par hasard et qu’au-delà de l’état civil ils en disent long sur la personnalité de chacun. Leurs sonorités sont importantes et aident le lecteur à comprendre les personnages qui les portent. Il en est de même pour les noms de famille.
Jojo, l’affreux jojo ; Constance, l’amie fidèle ; la stricte et piquante Mme Lepic…
Les titres se succèdent comme si je faisais les présentations un peu mondaines de mes héros au lecteur.

Parmi les personnages (élèves et moniteurs de l’auto-école, parents et grands-parents, sans oublier Jojo le pilier de bistrot), lequel vous ressemble le plus ? Et lequel vous vous êtes obligée à rendre sympathique ? Comment créez-vous vos personnages ?

À Lou ! Bien que tout tourne autour d’elle, paradoxalement elle ne fait l’objet d’aucun chapitre. Parce qu’elle est ordinaire, sans histoire – comme moi !, parce que l’événement qui la concerne est tout aussi ordinaire. La comparaison s’arrête là, car je n’ai plus l’âge de Lou ni sa fraîcheur !

Quant à l’affreux Jojo, c’est un tendre qui cache ses blessures derrière son caractère bourru.
Je mets en exergue le trait le plus fort de mon personnage qui se rapporte au thème central. Chacun a le sien. J’essaie par ailleurs de ne pas en faire un protagoniste tout blanc ou tout noir mais plutôt gris, comme dans la vraie vie. J’analyse son trait dominant à charge et à décharge, défauts des qualités, qualités des défauts.
Sauf pour le phallocrate Richard où je n’ai pas été aussi rigoureuse !

Des phrases courtes, de très rares subordonnées, un vocabulaire sans fioritures. Ces éléments donnent un style très moderne : est-ce un goût personnel ou un choix adapté au sujet, aux personnages ?

Tant mieux si j’ai réussi !
Je fais très attention à ne pas perdre le lecteur dans des phrases longues. Cela donne du dynamisme, je crois, au récit. Par ailleurs, chaque personnage ayant son propre chapitre – ou sa propre nouvelle je rédige son texte avec ses propres éléments de langage (l’argot de Jojo, le discours convenu de l’inspectrice, le parler "djeun" de Julien…). Cela donne plus de sincérité, de réalisme.

Plusieurs nouvelles s’achèvent sur une incertitude ou une suggestion, un sous-entendu (la famille de Richard et Géraldine, le sort de Jojo) ; pourquoi avoir choisi de ne pas tout conclure ?

Comme vous l’écrivez, c’est une suggestion. Je laisse le lecteur s’approprier l’histoire. Il peut à son tour imaginer une suite, se poser la question "et si ... ?" Par exemple : Manda a peut-être soudain compris que Gérald pourrait être le chauffard qui a blessé Jojo … ou pas.
Le sort de Jojo (début du livre) n’est pas explicite à la fin de son chapitre. Il faut attendre la dernière nouvelle pour le connaître. C’est une façon de maintenir le suspens, un peu à la manière d’un roman.

L’enchaînement des nouvelles, avec des personnages qui reviennent dans plusieurs récits et d’autres qui sont juste passagers, rend l’ensemble proche du roman à épisodes. La forme longue vous tente-t-elle ? Comment orientez-vous votre écriture entre format court et format long ?

Comme je l’ai déjà évoqué, je suis très sensible au genre de la nouvelle. Cette construction en vues croisées – elles-mêmes des nouvelles autour d’un même événement m’a beaucoup intéressée. J’aimerais poursuivre cette expérience et peut-être me conduira-t-elle à écrire en format long, tel un roman.

Vous utilisez volontiers un ton humoristique très peu prisé des jurys de concours. Quelle expérience avez-vous dans ce type d’épreuve ?

Communiquer une émotion, suggérer un ressenti ne doit pas se faire dans le pathos. Les sujets sérieux, voire graves, peuvent être abordés avec humour. Cela permet de prendre du recul, sans pour autant les éluder, d’en avoir la résolution ou tout du moins de les comprendre. C’est aussi une forme de respect envers le lecteur qu’on ne veut pas faire larmoyer.
Mais faire sourire est un exercice très difficile…

Les éditions Non31

Non31 est une maison d'édition à compte d'éditeur, installée en Lot-et-Garonne et animée par Thierry Hue. Son catalogue compte une douzaine de titres. La maison édite presque exclusivement des recueils de nouvelles, presque, car la frontière est parfois floue entre nouvelle longue et roman court, baptisé parfois "novella".
Non31 présente un recueil de contes, un roman épistolaire et une novella. Ses autres titres sont de purs recueils de nouvelles.

Thierry Hue reconnaît que le choix de retenir ou non un manuscrit est entièrement subjectif. Il fonctionne au coup de cœur, et au moment où il lit le manuscrit, il aime autant ne rien savoir sur l'auteur pour ne pas être influencé. Il privilégie 2 critères : la qualité littéraire et l'originalité. Ainsi la nouvelle abstraite de Stéphane Pucheu, Magnus ou le magnifique, dont il continuera à publier l'œuvre.
L'expérience de lecteur de Thierry Hue l'a amené à saisir ce qu'est pour lui la Littérature, avec un grand L. La plupart de ce qui circule est un récit, une histoire et, quand vous refermez le livre : c'est bon, vous avez compris. Rideau. Ce qui est littéraire se relit et le lecteur y trouve toujours de nouvelles informations. Ces livres, une fois lus ne se retrouvent pas dans un vide-greniers ou une boîte à livres : on les garde ! Ainsi l'éditeur-lecteur cite son "livre de littérature par excellence" : Ulysse de Joyce.

Permis de (se) conduire de Laure Gobron-Houssiere a séduit l'éditeur à plus d'un titre : une petite histoire somme toute banale d'une jeune fille qui passe son permis de conduire. On revit l'événement dix fois avec, à chaque fois, un point de vue différent : la grand-mère, le petit ami, etc., et des informations sur la vie des uns et des autres qui se rajoutent. On construit alors l'histoire petit à petit en comprenant de nouvelles choses. C'est en ce sens que l'on pourrait qualifier ce recueil de roman.

Lien : éditions Non31