Nouvelles estivales

En juillet et août 2025, des autrices et auteurs de micro-nouvelles se sont attachés à évoquer la belle saison : souvenirs, fictions, impressions.

 

Le pèlerinage

Jean-Patrick Beaufreton

— Demain, nous montons à la Salette.
L’excursion annuelle du 15 août offrait son programme invariable : se lever tôt, mettre la chemisette propre du dimanche et emporter le gâteau crémeux aux fruits confits. La voiture zigzaguait dans les boucles, Papa conduisait avec l’unique souci d’arriver avant la messe. Après l’office, Maman nous emmenait prier devant la statue des enfants.
Puis la famille déjeunait sur l’herbe, distraite par un troupeau de moutons, face aux larges paysages.
Le temps a passé, d’autres rituels l’ont meublé. L’année dernière, mes pas m’ont conduit là-haut. Plus de messe pour moi, plus de gâteau crémeux de Maman, mais toujours la statue des enfants qui attendait ma prière, mais elle resta silencieuse.
La Vierge ne m’est toujours pas apparue. Un miracle s’est pourtant opéré : j’avais rajeuni de soixante ans !

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Migration estivale

Joëlle Caujolle

Nous allions camper au bord de la mer, sans perdre une seule journée du mois d’août, de son festin de soleil et d’air marin. Nous partions tôt pour trouver, à l’ouverture du camping, une place ombragée et calme, condition d’un séjour réussi.
D’abord, on rédigeait une liste d’objets qui allaient constituer des piles jusqu’au démarrage attendu.
Puis, la voiture était affrétée. Sur la galerie de toit et le coffre, la lourde tente, table et pliants, bouteille de gaz, réchaud et paravent d’acier. Matelas gonflables, volumineux duvets et linge, comblaient toutes les parties vides de l’habitacle, si bien que j’avais du mal à voir le paysage. Si je râlais, un « nous aussi, on est serré » me ramenait à la raison.
Les équipements actuels privent les campeurs de l’aspect migratoire et aventureux qui faisait le charme insolite du camping d’autrefois.
Enfin ! Le bonheur retrouvé de la mer si vaste, chantante et dansante, à l’écume fraîche chatouillant les pieds.

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Un café ?

Henri de Serres-Justiniac

Cet après-midi de juillet, Max cherchait désespérément un peu d'ombre. Il se dirigea vers la terrasse ombragée d'un bar. Le serveur lui présenta la liste des cafés que l'on pouvait y déguster. Max, grand amateur de café, fut agréablement surpris par la diversité proposée. L'origine géographique de chaque café étant précisée, Max ferma les yeux et se mit à voyager.
D'abord, il se revit en Indonésie, dégustant le célèbre café "Kopi Luwak", puis dans les plantations de Colombie et du Vietnam écrasées de soleil. Il s'imagina au Brésil, premier producteur mondial.
Puis, il se retrouva en Éthiopie, réputée pour ses cafés Arabica et sa chaleur accablante.
Tout se mélangeait dans sa tête, les pays, les cafés et la chaleur de ce jour d'été. De la sueur coulait de son front. Lorsque le barman sortit brusquement Max de ses rêves en lui demandant :
— Vous avez choisi ?
Il répondit :
— Un grand verre d'eau fraîche, par pitié !

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L’été chez Rose

Claudine Souques

Champs d’herbes folles autour de la maison. Aujourd’hui, Jeannot viendra faire les foins.
L’été chez Rose, ce sont les rosiers Pierre de Ronsard qui, perchés en haut du talus, émergent de la folle avoine et se penchent courageusement au-dessus du sentier qui nous mène au jardin.
Les matins, nous allons cueillir les tomates, faire un bouquet de marguerites et de montbrézias.
L’été chez Rose, ce sont les poules qu’on va nourrir. Elles courent à notre rencontre en écartant les ailes, dodelinant à droite, à gauche dans un nuage de poussière. Ce soir, il ne faudra pas oublier de les rentrer.
Dans la pénombre du salon, un rayon de soleil passe à travers les contrevents et vient éclairer le bouquet d’hortensias sur le buffet. Une mouche vole bruyamment, fendant l’air en deux et se cogne à la vitre. Rose nous sert un verre d’eau parfumée à la fleur d’oranger, puis nous allons rejoindre Jeannot avec un pichet d’eau et le petit flacon bleu nuit.
Il a fini et ça sent bon le foin coupé.

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Tournez manèges !

Josette Masson

C’est l’été, la fête foraine. Les lourds camions sont arrivés. Leurs musiques engageantes, la vanille de la barbe à papa, la pêche aux canards, le train fantôme.
"Plantés" devant le manège, on attend que se libère le cheval blanc ou la Rolls décapotable rose. On y assoit le tout petit, intimidé ou ravi. À chaque passage, on lui fait un signe de la main, un sourire. "On est là !" Lui, il est sérieux, sage, parti faire un tour.
Soudain, quelque chose frôle son visage, l’aveugle, l’importune et puis s’envole ; un truc doux comme un écheveau de laine coupé en queue de cheval, très laid. Il entend "Attrape-le !" Intrigué, il le surprend qui taquine la tête d’un autre enfant qui se lève d’un bond, qui l’attrape, tire d’un coup sec : il l’a ! Le pompon ! Un tour gratuit !
Amusés, les parents couvent des yeux celui qui tournera en rond gratis !
Un jour, quand il sera grand, qu’il fera sombre, il ira décrocher ce vilain pompon miteux et le jettera aux orties.

03 Manège

Sortie de mer

Roseline Heupel

Le soleil d’été commence à me réchauffer, j’avance de guingois à la recherche d’un peu d’eau. Voilà, je me glisse paresseusement dans un bain rafraichissant. Attention, je ne dois pas m’attarder, je les entends arriver, il faut que j’escalade ces pierres, seules barrières entre la mer et moi. Je me hisse, je glisse, j’escalade et c’est la dégringolade. J’y retourne, et tout-à-coup, la bienfaisante vague m’emmène et me permet de franchir l’obstacle.
Je crapahute tant bien que mal, je me recroqueville pour ne pas être écrasé par ces énormes pilons qui sautent de rocher en rocher. Je vois mes congénères s’élever dans les airs, emportés par des griffes qui les jettent sans ménagement dans leurs ventres de plastique. J’accélère, et soudain, je ne sens plus le sable sous mes pattes, je m’agite, je claque des pinces, j’entends un cri, et je retombe.
Ouf, la mer enfin reprend sa place, je rentre chez moi, ils rentrent chez eux jusqu’à la prochaine marée.

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Un lac

Michèle Peyrat

La mère a peur des accidents et des noyades. Résultat : sa fille n’a jamais roulé à vélo ni appris à nager. Enfant unique, elle passe son temps à lire des livres. Poétesse, sa mère est ravie. Sa fille suivra ses traces, sans danger. Une fois adulte, elle ne nage toujours pas ni ne roule à vélo. Elle se contente de lire des romans.
Un jour, elle tombe amoureuse. Ils partagent des passions communes hormis celle pour l’eau. Lui adore la nage et la navigation. Elle n’ose pas lui avouer qu’elle n’a jamais appris à nager. Arrive l’été et les vacances.
Surprise ! Il a réservé un séjour au bord d’un lac. Dès le premier jour, il lui propose de rejoindre à la nage une autre rive. Elle ne dit rien. Elle a peur de le décevoir. Elle entre dans l’eau et avance à ses côtés. Bientôt, elle n’aura plus pied. Elle hésite, craint de boire la tasse.
Soudain, elle éclate de rire, sort de l’eau, puis s’installe dans un transat et se replonge dans son livre.

01 transat