Pierre Magdelaine, le geste auguste du semeur

Magdelaine rectangle

Pendant sa formation à Sciences Po, Pierre Magdelaine est parti aux États-Unis pour le stage d’un an à l’étranger ; il a ensuite travaillé dans l’urbanisme et mené en parallèle une première approche de l'écriture. Désormais, il se consacre pleinement à cette activité, compose des nouvelles et des romans, en langues française et anglaise.
Élève studieux, Pierre Magdelaine s’est contraint à écrire dans la langue de son terrain de stage pour en maîtriser l’usage ; il y a pris goût et apprécie la différence de nuances : les adjectifs anglais lui semblent plus sensoriels et adaptés pour exprimer les sons, les mouvements, les couleurs. Quand il écrit, il navigue entre les deux langues et ces allers-retours l’amènent à peaufiner tour à tour la version de Molière et celle de Shakespeare. Son objectif d’écrivain est de semer des graines et laisser le lecteur cultiver son imaginaire ; la nouvelle se prête à ce travail de mesure et de confiance.

Page Instagram de l'auteur : @pierremagdelaine

La nouvelle Rose (Éditions l’Ourse Brune) s’ouvre sur un agonisant, dans une ambiance de vent et de mouches ; elle se clôt sur l’annonce à la veuve, dans une ambiance de soleil et de chant d’oiseaux. Quels symboles voir dans ce contraste ? Apprendre un décès est l’ouverture vers une nouvelle vie, faire son deuil ?

Peut-être… J’essaie, depuis quelques années, de m’effacer de plus en plus de mes textes, de supprimer toute explication pour laisser le lecteur seul avec le texte, seul face aux paysages et aux personnages.
J’y laisse bien sûr des symboles, des motifs, qui ont pour moi des significations plus ou moins conscientes, mais je ne préfère pas les dévoiler et les imposer aux lecteurs.

En lisant la nouvelle, on voit des images américaines comme dans les westerns (grands espaces, chemin de fer rouillé, sécheresse). Pourquoi avoir donné si peu de noms aux lieux et aux personnes (seulement la messagère, le chien et la veuve) ?

C’est vrai, mon imaginaire baigne dans des paysages et grands espaces nord-américains ; c’est d’autant plus vrai pour Rose, qui a d’abord été écrite en anglais et conçue, dès son origine, comme une sorte de réponse à la chanson Give My Love to Rose de Johnny Cash.
Mais ces chemins de fer rouillés et cette sécheresse, qui sont le présent de l’Amérique du Nord, je les imagine aussi comme notre futur européen et français – un futur de plus en plus proche, si proche, presque là déjà.
C’est en partie pour ça que j’ai supprimé tous les noms qui n’étaient pas utiles : pour éviter de localiser cette histoire, historiquement, géographiquement, culturellement.

Rose comprend une douzaine de personnages, des intrigues multiples ; de quoi faire un roman de plusieurs centaines de pages. Pourquoi avoir opté pour une nouvelle ? Qu’est-ce qui guide vers un format ou un autre ?

Il m’est arrivé d’écrire des nouvelles qui sont devenues des novellas ou des romans ; j’ai même pensé à le faire pour Rose, mais je me suis rendu compte que j’aimais ce texte comme il est, avec son mystère laconique de conte.

L’histoire relate l’épopée de Meryem à la recherche d’une femme ? Pourquoi l’avoir titrée du nom de celle-ci, tout en suivant celle-là ?

J’ai déjà dit plus haut que Rose répondait à une chanson de Johnny Cash ; ce titre est un indice de plus. Je crois que j’ai aussi préféré donner à cette histoire le nom de la quête qu’elle raconte, plutôt que celui de sa protagoniste – cela, en plus du symbolisme qui peut s’attacher à un nom comme “Rose”.

Le sentiment dominant est celui d’arriver après une apocalypse ; de quelle nature serait-elle si elle était révélée : réchauffement climatique, catastrophe naturelle, incident dû aux humains ? Avez-vous volontairement laissé le doute ou le choix au lecteur ?

Je ne crois pas à l’idée millénariste d’une apocalypse, je crois même qu’elle est dangereuse parce qu’elle suppose que cette fin du monde est à venir, que notre monde n’est pas déjà bouleversé par le réchauffement climatique, que les écosystèmes n’ont pas déjà commencé à s’effondrer.

Écrire un autre conte moraliste sur une apocalypse trop écrasante et abstraite, impossible à saisir à un niveau personnel et émotionnel ne m’intéresse pas.
J’essaie de ne pas donner de leçon, je préfère me mettre à l’échelle de mes personnages pour imaginer comment ils peuvent vivre dans ce monde. Je ne pense pas qu’on a besoin de tout expliquer au lecteur ; on peut lui faire confiance pour remplir les blancs.

Les adjectifs qualificatifs sont nombreux au début, puis plus rares ou s’éclipsant dans d’autres paragraphes. Comment les utilisez-vous ?

Je n’avais pas conscience de ces écarts. Ils sont en effet peut-être liés à un travail sur le rythme, qui est très important dans mon travail.
C’est peut-être aussi la conséquence d’une volonté à moitié consciente de situer le lecteur, au début du texte, de lui permettre d’entrer dans ce monde, ce paysage et à la fin, à l’inverse, d’éviter de surcharger le texte.

Vous avez publié en France et aux États-Unis. Quelles différences sentez-vous entre les deux lectorats ? Le désamour hexagonal pour la nouvelle vous semble-t-il réel de la part du public ou convenu entre les professionnels du livre ?

Je connais trop peu mon lectorat nord-américain pour en parler, ce qui est paradoxal car je crois que j’ai été davantage publié aux États-Unis qu’en France.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il y a beaucoup plus de revues de l’autre côté de l’Atlantique qui publient des nouvelles de tous genres.

Comment travaillez-vous et avez-vous des objectifs d’écriture ?

J’ai été très touché par le travail de Lynd Ward et ses romans sans paroles, qui parviennent à raconter une histoire dans un silence qui l’enveloppe de mystère.
Je ne suis pas graveur ou dessinateur, comme lui, mais je veux essayer d’écrire des nouvelles et romans les moins bavards possibles ; trop souvent, les dialogues contraignent les personnages à des monologues ou des propos adressés plutôt aux lecteurs, censés faire avancer l’action, mais manquant de naturel.
Au centre de mes textes, il doit y avoir d’abord l’histoire d’un personnage, des épisodes successifs qui sont plongés dans une ambiance, un monde, sans pour autant assommer le lecteur d’explications et de justifications… quitte à laisser quelques accessoires dans l’ombre et faire confiance à son imagination pour compléter ce qui n’a été qu’esquissé — autrement dit, être l’auteur qui sème des graines que le lecteur fait germer.

Bibliographie

Avis de lecteur

En français
Ecopoïèse, Premier accessit du Prix Le Bussy 2021, Galaxies, n°76 (mars 2022)

RoseEditions l’Ourse Brune (avril 2021) - ISBN 978-2-9573320-4-5
L’Etrangère, Cause Commune, Bientôt un livre, épisode 4 (août 2020)
Matière premièreRue Saint Ambroise, n°41 (avril 2018)
Tribulations d'un machiavélique Connil, Publibook (février 2009)

En anglais
The Mythmaker’s Daughter
New Maps, vol. 2 n°4 (automne 2022)
YaraNew Maps, vol. 2 n°1 (hiver 2022)
To the DogsNew Maps, vol. 2 n°1 (hiver 2022)
TrashNew Maps, vol. 1 n°4 (automne 2021)
Rhyme and ReasonNew Maps, vol. 1 n°1 (hiver 2021)
Sub specie aeternitatisGéante Rouge, hors-série (2020)
AdustInto the Ruins, n°11 (automne 2018)
Dandelion/Dent de Lion, mOthertongue Journal, n°16 (printemps 2010)