Jeunesse, nouvelle de Joseph Conrad sans une ride

Le 18/08/2023 0

L’été est la saison de la jeunesse, qui s’enivre de mer, d’horizons et d’aventures. Joseph Conrad en fait une entrée glaciale dans le monde adulte.

La nouvelle de Joseph Conrad Jeunesse fut publiée en 1898, près de deux décennies après l’aventure vécue par l’auteur. En 1881, il embarque comme premier lieutenant sur la Palestine, un vieux trois-mâts barque en partance pour Bangkok. Le feu se déclare dans la cargaison de charbon, l’équipe abandonne le navire au large de Sumatra.
Dans la nouvelle Jeunesse, le bateau s’appelle La Judée et sa devise Marche ou crève fixe l’ambiance du récit. Hormis ces transformations, le reste de l’histoire s’approche des problèmes rencontrés par le jeune lieutenant Conrad. D’ailleurs, à propos de Jeunesse, il écrit à André Gide, le 28 janvier 1913 : "C'est un bout d'autobiographie, tout simplement".

La nouvelle rapporte une conversation à cinq autour d’une bouteille, et le narrateur Marlow répète à moult reprises : "Passez-moi la bouteille", tantôt de façon circonstanciée, tantôt de manière surprenante. Marlow, en fin de carrière, se souvient de son premier voyage à tout juste vingt ans : le capitaine de 60 ans n’avait jamais commandé, le second "n’avait jamais pu avancer" et le lieutenant Marlow sortait de l’adolescence dans un navire qui "n’était que rouille, poussière, crasse – suite dans la mâture et saleté sur le pont". Le périple est présenté comme un enchaînement de rebondissements à couper le souffle.
Une lecture au premier degré conduit à plaindre le jeune marin plein d’avenir et de bonne volonté ; mais les poisses qui se succèdent sans arrêt permettent de s’interroger sur la sincérité du propos : trop, c’est trop ! Même Marlow s’écrie : "C’est magnifique. Je me demande ce qui va bien pouvoir arriver."
À plusieurs reprises, Conrad laisse Marlow utiliser des expressions étonnantes sur les situations catastrophiques, peut-être une forme de distance pour se protéger. Ces tournures donnent un effet comique : "il était dit que nous aurions à pomper sur ce navire, pomper pour le vider, pomper pour le remplir".

L’écriture de Conrad charme par son économie d’adjectifs et d’adverbes ; l’écrivain est maître dans la précision des noms et des verbes qui se suffisent à eux-mêmes :
On arma la pompe à incendie, on adapta la manche et peu après celle-ci creva. Que voulez-vous, elle était du même âge que le navire , c’était un tuyau préhistorique et irréparable.
Bel exemple de parcimonie. Les phrases courtes laissent peu de place aux subordonnées, le ton navigue entre humour et tragédie qui conduit à s’interroger entre la dérision protectrice, le souvenir lointain ou le recul de l’homme expérimenté qui regarde sa première expédition.
Que l’histoire soit réelle ou amplifiée, le problème reste secondaire à côté du plaisir du style qui enivre par sa sobriété.

La nouvelle est disponible dans plusieurs éditions, son propre titre mis en avant ou réunie avec d'autres nouvelles de Joseph Conrad.
En versions numériques, ebooksgratuits la présente accompagnée de Cœur des ténèbres.

auteur littérature analyse

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