Scanner une nouvelle (suite & fin)

Le 26/08/2023 0

Katherine Mansfield nous contait Le voyage et notre observation l’a laissée dans une scène souriante : la grand-mère acrobate et pieuse.

L’autrice passe à l’arrivée du bateau dans le détroit et, de nouveau, la femme de chambre et la grand-mère parlent du parapluie (mais pourquoi cet élément qui capte l’attention ?), avant d’obtenir enfin la réponse à ce dont le lecteur se doutait : Pauvre petit agneau sans mère !
L’histoire est compréhensible aux deux tiers de son cours. Le voyage est bien consécutif au deuil de la mère.

De brefs dialogues et descriptions de situation d’agrément et enfin, elles montèrent sur le pont, le bateau arrive à destination.
Là, le terme froid apparaît à trois reprises en deux phrases : la cabine, le ciel et la mer, tout est froid ; de plus, l’air est glacial. Pas besoin de bulletin météo développé, le lecteur sent l’ambiance.
M. Penreddy apparaît, il charge bagages et voyageuses dans sa charrette… en prenant garde au parapluie ! Discussion anodine à propos des voisins et arrivée devant une maisonnette. Ni longues palabres, ni descriptions fastidieuses, quelques mots et le lecteur en sait assez.
La présentation de la maison est plus détaillée : l’allée, les fleurs, les stores, la véranda ; on suit les deux femmes jusqu’aux galoches du grand-papa. Va-t-on enfin savoir pourquoi il n'était pas venu ? Toujours la même économie de moyens pour informer le lecteur. De courts paragraphes montrent l’accueil, le salon, le chat et la chambre. En 300 mots seulement, Fénella découvre la demeure et va donner un baiser à son grand-papa, difficile de faire plus court ! On s’attendait à un grabataire incapable de voyager et les 100 derniers mots de l’histoire précisent qu’il n’en est rien (en tout cas, ils ne le confirment pas); tout finit par un petit clin d’œil complice, le mot achève même la nouvelle.

Le lecteur se sentirait floué s’il restait au premier degré des faits qui lui sont rapportés : Fénella vient chez ses grands-parents après le décès de sa mère… et alors ?
Jamais le fait n’est dit en un tel résumé, juste Pauvre petit agneau sans mère ! et personne ne doute de la réalité du décès.
Au contraire, Mansfield montre une fillette quitter son père en grand chagrin, effectuer une traversée avec sa grand-mère rigolote et être accueillie par un grand-père plus vivant qu’on l'imaginait. Elle filme Fénella susceptible de trouver de nouveaux agréments à la vie, sans la moindre analyse, le moindre discours, avec des images successives qui conduisent le lecteur de la précipitation initiale à la complicité bon enfant. Qui s'inquiète encore pour la santé du grand-père ?

Soulignons l’équilibre des parties : 1 750 mots de l’ouverture de la nouvelle au couchage. 510 pour la scène souriante, suivis de 200 qui révèlent le deuil de la mèreMansfield n’en parle jamais ailleurs, puis 1 000 mots pour clore le voyage.
Notons aussi : les 143 mots du premier paragraphe montrent Fénella dans l’agitation ; les 104 derniers mots la laissent découvrant un grand-père goguenard. Les deux plateaux de la balance voisinent avec l’égalité.
Puisque vous appréciez les chiffres, remarquez aussi que le mot père est cité autant de fois que le mot parapluie : 8 pour être précis, preuve que bien martelée, une idée peut accrocher l’attention sans être omniprésente !

Porter un texte à l’analyse de mots et de leur fréquence aide l’auteur à mesurer ses propres tendances ; hors de question de se soumettre aux seuls chiffres, mais la répartition des masses permet de voir :

  • l’équilibre des parties choisies par l'auteur,
  • le passage trop rapide sur un point important,
  • l'attardement excessif sur des éléments secondaires,
  • le vocabulaire répété avec lourdeur, repérable et à corriger.

Enfin, le "coup du parapluie" illustre une manière de capter l’attention du lecteur – avec finesse – sur un détail futile de l’intrigue.

analyse méthode écriture

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