Impasse sans issue !

Le 28/08/2023 2

Rares sont les lectures qui laissent un tel goût amer, un sentiment de décalage, jusqu’à l’incompréhension : décevante Marquise d'O !

Il en va ainsi avec La marquise d’O… nouvelle écrite par Heinrich Von Kleist en 1805. L’idée de départ semble originale, voire inédite : une femme découvre sa grossesse et passe une petite annonce pour identifier le père de l’enfant. Quelle que soit la période où se passe l’histoire, avouez que le propos prête à sourire et intrigue.

L’auteur enseigne bien vite que son héroïne fut victime d’une tentative de viol collectif ; Von Kleist ne le dit pas tel quel, mais "elle eût succombé sous les plus indignes traitements, si un officier russe, attiré par ses cris, n’était venu chasser ces misérables". Celui-ci se montre très courtois, galant puis amoureux de la dame ; il aspire même à l’épouser et en demande la main. Jouez violons, sonnez crécelles.
La marquise refuse ce mariage, avant que de découvrir son état gravide et de publier sa surprenante annonce, à laquelle elle reçoit une réponse. Sans divulgacher l’issue de l’aventure, vous comprenez l’abîme inconfortable dans lequel se trouve le lecteur : il se désintéresse vite du véritable père, le viol a dû être consommé avant l’arrivée de l’officier. Il s’interroge sur le premier refus de mariage par la marquise qui ne fournit aucune raison, avant de savoir qu’elle est enceinte.
Dès que le lecteur apprend le courrier reçu en réponse à l'annonce, il ne doute pas un instant qu’il s’agisse de l’officier et que celui-ci va renouveler sa demande en mariage. Tout est cousu de fil blanc. "On chercha en vain à obtenir de la marquise l’explication de sa conduite singulière", avoue lui-même l’auteur qui semble manquer d'issue.

À défaut d’une intrigue bien construite, le style pourrait sauver la mise et transformer le gros point d’interrogation en point de satisfaction.
Mais le style est ampoulé, les tournures alambiquées, les phrases encombrées. Plusieurs fois, il est nécessaire de relire un passage ou une réplique pour en saisir tout le contenu.
Quelques commentateurs y voient une forme du romantisme de l’époque, d’autres de féminisme avant l’heure ; on y voit surtout un embrouillamini de morale (le père de la marquise chasse sa fille qu'il juge indigne) mêlée à du patriotisme de mauvais aloi (l’auteur russe tenait peut-être à réhabiliter l’armée de son pays), de la rigueur nobiliaire (les soldats du peuple versus l’officier aristocrate) et tout ce que vous voulez en plus.

Von Kleist et sa Marquise d’O... furent chantés par Stephan Zweig. L’élève a largement surpassé le maître ; ne perdez pas votre temps avec celui-là et réservez vos lectures à celui-ci !

auteur lecture littérature

Commentaires

  • Viano Marie-Claude

    1 Viano Marie-Claude Le 04/09/2023

    En un compte rendu de lecture volontairement bébête vous mettez carrément la nouvelle de Von Kleist à la poubelle. Et, du coup, Von Kleist aussi (lequel, entre parenthèse, n'était pas plus russe que moi. Vous le confondez avec le héros, ce qui donne la mesure du sérieux de votre lecture). Eric Rohmer, dans le respect de la langue, du texte et des costumes, a fait de la Marquise d'O une flamboyante adaptation au cinéma. Tout y est, le côté parodique, le style ampoulé, la moralisme daté. Et c'est superbe.
  • DAVID Alain

    2 DAVID Alain Le 03/09/2023

    Chers amis, je vais suivre vos recommandations et surtout ne pas lire La Marquise d'O[i][/i], bien que vos observations acidulées ne laissent pas de nous mettre l'eau à la bouche. Une remarque cependant: l'auteur Von Kleist n'est-il pas plutôt allemand que russe? Autre remarque: cette "œuvre", a l'instar de nombreuses autres, ne souffre-t-elle pas de ce que l'on pourrait appeler les avanies du temps qui passe? Comment lire aujourd'hui les textes du passé? Il y a forcément un biais cognitif. Allez, Stefan Zweig me convient tout aussi bien, en effet.

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