Les suites à la place des recueils

Le 03/05/2023 0

Interpelée par Laure, La Nouve s’est penchée sur l’idée de suites développée par Rue Saint-Ambroise qui tente ainsi de proposer une alternance au traditionnel recueil de nouvelles.

A priori, l’intention est louable : vouloir dépoussiérer une vieille institution comme la nouvelle et lui donner une nouvelle attractivité. Le projet est à applaudir sans réserve.
Mais est-ce si nouveau ?

Le constat de base est indéniable : au XIXe siècle, les journaux publiaient des nouvelles dans leurs colonnes, le recueil venait comme un collector. Les publications ont disparu, les recueils ont suivi la même voie… le monde a peu changé et les héros de notre enfance n’évoquent rien à nos petits-enfants !
Pour donner un nouvel élan aux ouvrages, Rue Saint-Ambroise avance le principe des Suites. Là, l’affaire se corse, car le préambule préconise des récits reliés entre eux par un ou par plusieurs fils conducteurs : le thème, le lieu, le personnage, l’action au fil d’une progression. Et quand celle-ci est détaillée, il est mentionné : Un même thème, un lieu unique ou le retour d’un même personnage ne suffissent pas à constituer une suite. Le serpent se mord la queue !

Plutôt que jouer sur les mots, revenons à l’idée de base : installer des points communs d’une nouvelle à l’autre, un fil conducteur, des repères stables. Pourquoi pas ?
C’est ce que font les scénaristes de séries depuis belle lurette : par exemple, L’instit, voici une trentaine d’années, vivait déjà des aventures différentes à chaque épisode avec comme seules permanences son métier et sa moto ! Sans parler du commissaire Bourrel et ses Cinq dernières minutes : le polar utilise le principe depuis fort longtemps. L’idée est donc sympathique et elle a fait ses preuves, à défaut d’être neuve.
Des romans sont échafaudés avec cette architecture : le lecteur découvre un cadavre (première nouvelle), celui-ci est autopsié, identifié (deuxième), l’enquêteur prend en charge le problème (troisième) et il confond le criminel (dernière). Là, le fil conducteur est la recherche du coupable ; ailleurs il sera la quête du bonheur ou l’expédition dans le grand Ouest, etc. Appliquer la méthode aux nouvelles consisterait à suivre les étapes, avec une identité propre, et laisser le lecteur trouver le lien ou le liant.
Rue Saint-Ambroise cite même des ouvrages qui auraient adopté cette démarche, il est tentant de les consulter.

Joëlle C n’a pas attendu pour se souvenir d’une anecdote survenue une quinzaine d’années en arrière : prête à envoyer des nouvelles à un éditeur (qu’importe son nom) elle se rend compte d’une telle affinité entre le personnage central et entre les décors de plusieurs récits qu’elle a le sentiment d’avoir une ou deux figures récurrentes dans des situations différentes. Ni une, ni deux : elle change les noms pour identifier ceux qui apparaissent dans diverses histoires et signale le mécanisme choisi à la maison d'édition.
Verdict dans une réponse rageuse : le procédé rend la lecture des nouvelles illisible. Aux dires du chercheur de pépites, toute l’énergie du lecteur se porterait sur la construction de liens entre les nouvelles, au lieu de souligner l'intérêt de chacune. Était-ce l’exception qui confirme la règle, un censeur fatigué ou une autrice encore maladroite ? Même Joëlle C n’ose trancher.

En conclusion, la proposition de Rue Saint-Ambroise est intéressante, elle mérite de s’y arrêter sans illusion.
Elle se prête assurément à la biographie d’une héroïne, d’un chercheur ou d’une exploratrice : le fil conducteur est presque intuitif. Dans la fiction, les aventures de personnages comme Tintin, Guignol ou Astérix montrent que la démarche est coutumière. Il reste néanmoins à sensibiliser les auteurs de nouvelles pour que le principe attractif ne se transforme pas en un artifice lassant, puis à mesurer l’accueil du public au risque de voir peu de suites lues jusqu’au bout.

Lien : Rue Saint-Ambroise

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