Les non-lecteurs de nouvelles

Le 19/11/2023 0

Laure Gobron-Houssiere, publiée par les éditions Non-31 était au salon L’Autre Livre, elle rapporte les propos échangés avec les visiteurs.

Les Éditions-Non-31 ont présenté les ouvrages de 10 auteurs de nouvelles ou romans courts, dont 5 présents pour dédicaces, aux côtés de quelque 110 éditeurs indépendants et leurs auteurs, au salon organisé par « L’Autre Livre », du 10 au 12 novembre à Paris.
Les visiteurs déambulaient dans les travées, les yeux rivés sur les alignements d’ouvrages ou bien, ne sachant pas où leurs pas les menaient, se laissaient assaillir par des milliers de titres dont il était impossible d’en faire une lecture exhaustive. Certains plus participatifs n’hésitaient pas à s’emparer du livre, à l’ouvrir, le feuilleter, à se laisser happer par des mots au hasard des pages, des lignes.
L’occasion était trop belle d’interpeller alors le candidat lecteur. Les Éditions Non 31 s’y sont attelées :
- Connaissez-vous le genre de la nouvelle ? Oui, quelque chose de court …
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Avez-vous déjà lu des nouvelles ? Heu, oui, au collège, au lycée… Un peu… Je n’en ai pas le souvenir… Ce n’est pas très connu, non ?…
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D’après vous, quelles sont les qualités d’une nouvelle ? C’est court… Ça se lit vite… C’est pas trop compliqué…
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Connaissez-vous des auteurs de nouvelles ? Maupassant… ? Je crois que les grands auteurs ont commencé par ça ?
À des visiteurs anglophones : Do you know short stories ? Oh yes, of course !… La liste est tellement longue qu’elle ne sera pas reproduite ici…
- Pourquoi ne lisez-vous pas de nouvelles ? » : Trop court… Je préfère les romans… J’aime bien passer du temps avec mes héros…

Il y a encore beaucoup de chemin à faire pour promouvoir le genre qui n’est définitivement pas prisé des lecteurs français à la différence des Anglo-saxons ou des Américains. Le sourire entendu de nos interlocuteurs anglais, irlandais, américains lorsqu’ils comprennent notre question « Short stories ? » baragouinée dans la langue de Shakespeare en est la meilleure preuve !
Pour les Français, la nouvelle les renvoie aux années de collège ou de lycée. Texte court facile à travailler dans son entièreté pendant l’heure de cours avec l’incontournable et célèbre Guy de Maupassant. Le mot « nouvelle » est réducteur.
Eh bien non, il ne faut pas confondre étroitesse (d’esprit, de sujet) et intensité d’un texte court. Les remarques des passants devant les rayons de nouvelles, laissent à penser que la texte court est synonyme de « vite-fait », d’intrigues peu profondes, d’absence de descriptions fortes indispensables au récit, de frustration du lecteur avide d’œuvres volumineuses.

La nouvelle est tout sauf du vite-fait. Il faut allier concision circonstanciée, précisions, qualités sémantiques, cohérence, style, et surtout trouver la chute, la caractéristique du genre grâce à quoi tout est dit, bien dit, en surprenant le lecteur. C’est un travail d’écriture et de réécriture où tout doit être à sa place, imbriqué, ciselé. Le nouvelliste ne compte pas son temps.
Surtout, une bonne nouvelle peut être lue et relue. Un peu comme l’histoire du soir lue ou écoutée par l’enfant qui finit par en connaître chaque mot, chaque effet. C’est cet effet-là que le lecteur, conquis, a plaisir à relire. Une bibliothèque de nouvelles serait même plus riche d’émotions que des mètres linéaires de romans, souvent jamais relus, égarés, ou même pire, dont la lecture a été abandonnée.
L’éditeur et l’auteur de recueils doivent donc bien ordonner leurs nouvelles pour séduire le lecteur dès la première histoire ou tout du moins appeler sa curiosité et l’inviter ainsi à aller au bout de l’ouvrage. C’est un autre écueil à surmonter qui demande réflexion, cohérence. Le talent, l’inventivité, la créativité ne suffisent pas, il faut leur adjoindre le travail, la réflexion, pour relever et éliminer la moindre imperfection.

Je crois que les grands auteurs ont commencé par ça ? On peut lire dans des articles ou des bibliographies littéraires que tel écrivain, sorti du lot, primé, remarqué pour un roman, "a commencé par écrire des nouvelles". Comme si la pratique de la nouvelle est un entraînement, une esquisse, un brouillon d’une future grande œuvre littéraire, donc un genre mineur !
Imagine-t-on reléguer l’aquarelle au rang d’esquisse d’une peinture à l’huile ? Pourtant, au XIXe siècle, sa maniabilité, son transport facile en extérieur, son usage propret avec un peu d’eau, sa rapidité d’exécution, était le moyen donné au peintre de capter la lumière, les formes et les valeurs de son sujet qu’il pouvait ensuite interpréter de ses pinceaux à l’huile sur sa toile, en atelier, pour en faire son chef-d’œuvre. Il faudra attendre une période plus contemporaine pour reconnaître les talents d’aquarellistes de renom, à l’instar d’artistes peintres utilisant d’autres médiums tels que le pastel.
La nouvelle, à l’image de l’aquarelle dans l’art pictural, fera-t-elle enfin sa place dans le monde de la création littéraire ?

Aux auteurs et éditeurs de nouvelles, d’en faire la révélation.

Laure Gobron-Houssiere

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